Interview
Publié le 29/04/2019 à 10h17 par Grégory
Brontis Jodorowsky
Crédits photos : Ciné-Média 2019
Acteur
Filmographie sélective :
"Les Animaux fantastiques : Les Crimes de Grindelwald" (Cinéma - 2018)
"Otages à Entebbe" (Cinéma - 2018)
"Le jeu de l'amour et du hasard " (Théâtre - 2016)
"Macbeth" (Théâtre - 2015)
Lors de la première édition du salon PopCon nous avons eu le plaisir d’échanger avec Brontis Jodorowsky, acteur de théâtre et de cinéma à la carrière longue, prolifique et fascinante. Retour sur cet échange enrichissant avec Julien et Catheolia.
Vous avez débuté devant les caméras à tout juste 7 ans dans un film de votre père. Vous saviez déjà à cet âge que vous vouliez jouer ?
Je n'en savais rien du tout à cette époque ! Mais vous savez, l’inconscient peut être puissant parfois…
Ma mère a été actrice une partie de sa vie – parce que, oui, je suis aussi né d’une mère (rires), pas comme Athéna !- et petit enfant, n’emmenait parfois à ses répétitions avec le groupe du Théâtre Laboratoire de Wrocław (Pologne). C’était du théâtre expérimental. Et moi je traînais dans leurs pattes quand ils s’entraînaient.
Quand j’ai eu 6 ans, je suis parti rejoindre mon père –que je savais aussi artiste- pour des vacances au Mexique. il préparait son film "El Topo", dans lequel il y avait le rôle d'un enfant et il m'a dit : « viens, on va le faire ensemble ». Moi j’ai pris ça très au sérieux, j’étais très fier que mon père me fasse confiance : il me proposait de participer à ce qui lui tenait le plus à coeur à ce moment-là. J’allais "l’aider à faire son film" !
Jouer me semblait naturel : à 6 ans, on n’est pas encore dans la dualité avec soi-même, on n’a pas de distance avec soi-même, ça vient plus tard avec l’âge de raison ça ; je ne me posais pas de questions et ça a été une très belle expérience. Trois autres films se sont enchaînés après ça ("Pubertinajes", "La Montagne sacrée", "El muro del silencio", pour lequel j'ai reçu un prix d'interprétation) jusqu’à mes 11 ans. Et ça s’est arrêté. On a voyagé, on a changé de pays… Et puis il y a eu le projet de mon père d'adapter au cinéma le roman de Frank Herbert, "Dune". Je devais y jouer Paul Atreide, rôle pour lequel je me suis intensément préparé pendant deux ans. Hélas, au dernier moment ce magnifique projet est tombé à l'eau. Forcément, j’étais un peu triste et déçu, bien sûr, mais mon père l’était bien plus que moi (Le documentaire « Jodorowsky’s Dune », de Frank Pavich, raconte très bien cette histoire). Moi j’étais entré dans l'adolescence, les amis comptaient plus que le reste, ça m'a consolé.
Et puis le hasard a fait qu’un samedi, quand j’avais 18 ans, je me suis retrouvé dans un cours de théâtre amateur que suivaient mes potes : je ne voulais pas rester à rien faire en les attendant, alors j’ai demandé à entrer, pour regarder.
Ce jour là, il y avait un absent. Je ne saurai jamais qui c'était, mais je lui dois en partie ma vie : comme il n'était pas là pour travailler la scène du jour, le prof m’a demandé de monter sur le plateau et de réciter ses trois répliques, afin que les autres puissent avancer. Je l’ai fait rouge comme une tomate, mais en sortant de là j’ai senti la vocation me tomber dessus : j'allais être acteur ! Avec le recul ça semble évident : en espagnol on dit "Hijo de tigres, nace rayado" - "Les chiens ne font pas des chats" en France, mais à aucun moment je n’ai fait le lien avec ma petite enfance et le métier de mes parents. À partir de là, ça s’est enchaîné et j’ai fait ma carrière sur les planche indépendamment de ma famille.
Homme de théâtre ou Homme de cinéma alors ?
Pendant longtemps exclusivement de théâtre. La scène m’a vraiment plu et j’ai tout de suite fondé ma propre troupe amateur avec des amis.
Et c’est là qu’on peut dire que la vie est étrange, ou magique.
Je voulais d'abord apprendre par moi-même, découvrir le théâtre par l'expérience, avant de suivre une formation. Je me suis mis à beaucoup lire, à diriger des entraînements, on faisait des impros. J’ai monté "On ne badine pas avec l’amour", de Musset, avec trois bouts de ficelle. On a appris sur le terrain, on a dû trouver comment faire des décors, les costumes, trouver des lieux pour répéter et ce que c'était que jouer… Quand j'y repense : je ne savais rien, pourtant ils m'ont fait confiance. En fait, les gens ne suivent pas forcément quelqu’un qui sait où il va : ils suivent celui qui dit ‘On y va !’
Ça a été formidable pendant un moment, mais au bout de 2 ans, je me suis dit que j’avais quand même besoin de trouver un maître, que je ne pouvais pas aller plus loin sans. C'est alors que j’ai rencontré Ryszard Cieslak, un acteur polonais qui à l’époque travaillait avec Peter Brook sur "Le Mahâbhârata". Il n'a pas été facile à convaincre : Ryszard ne donnait pas de cours, mais je voulais tellement travailler avec lui que j’ai monté une association, trouvé une salle, formé un groupe et il a finalement accepté. Les deux années de travail qui s'en sont suivies auprès lui m'ont énormément appris.
Or, un jour il me dit que je lui faisais penser à quelqu’un qu’il avait connu il y avait longtemps… Une actrice française, Bernadette Landru, qui était venue travailler 6 mois avec le Théâtre Laboratoire à Wroclav. Il parlait de ma mère ! Oui, j’étais le gosse de 5 ans qui leur traînait dans les pattes pendant les répétitions ! Elle est là la force de l’inconscient. Qu’est-ce qui m’avait fait aller justement vers quelqu’un que j’avais rencontré étant enfant et dont je n'avais aucun souvenir ? On en était tous les deux pantois.

Et après ça, j’ai fait mon chemin au théâtre, j'ai fait partie du Théâtre du Soleil que dirige Ariane Mnouchkine, où j'ai beaucoup appris aussi… Puis plein d'autres belles aventures.
Comment s’est présenté le retour devant les caméras ?
Le réalisateur mexicain Daniel Castro Zimbrón préparait son tout premier film, "Tau" : l’histoire d’un botaniste, qui entre dans le désert pour étudier les cactus, mais surtout pour fuir le traumatisme du suicide de sa femme. Le film raconte comment il est impossible de fuir le passé. Il faut le confronter. Il entre dans le désert donc, et là apparaît le fantôme de sa femme...
Pour son héros, Daniel ne voulait pas un visage connu au Mexique. Son producteur m’avait vu dans une pièce de théâtre que j’avais emmené en tournée là-bas. La décoratrice du film était quelqu’un que j’avais connu enfant, qui avait aussi vu la pièce. Ils m’ont tous les deux recommandé. Daniel raconte que dès qu'il a vu mon visage apparaitre sur son écran lors de notre première conversation par Skype, il s'est dit “C'est lui!”
Ce qui est incroyable, c’est qu'on a tourné "Tau" dans le désert de San Luis Potosí, là où "El Topo" avait été tourné aussi. Un de ces "hasards merveilleux".
Peu avant ça, j'avais joué un seul-en-scène, "Le Gorille", d'après Franz Kafka, spectacle qui catalysait tout ce que j’avais développé et appris dans mon parcours théâtral. Ce fut à la fois un succès et la conclusion d’un cycle : après cette pièce on ne m’a pratiquement plus rien proposé au théâtre, comme acteur. Peut-être parce que c’était un spectacle que j’avais produit moi-même et qu’on s’est dit que j’allais désormais faire mes propres choses. Et puis j’avais aussi fait trois mises en scène d’opéra... Est-ce qu'en France un metteur en scène ne veut pas engager un acteur qui a déjà fait de la mise en scène, de peur de le voir empiéter sur son territoire ? C’est en tout cas une frontière qui n’existe pas dans le monde anglo-saxon.
En tout cas, après "Tau" les choses se sont enchaînées au cinéma. C’était un premier film, à tout petit budget, qui n’avait pas été vu par grand monde, hormis dans des festivals. Mais il m'a ouvert les portes du cinéma au Mexique, puis mon père qui appréciait beaucoup mon travail m’a proposé de jouer dans "La danza de la realidad", puis dans sa suite "Poesia Sin Fin", sélectionnés à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes. D’autres films ont suivi, en France aussi, et un premier film anglais "Otages à Entebbe", où je réalisais un rêve d’enfant : être pilote d’avion ! J’ai même eu l’occasion de le piloter pour de vrai. C’est ça aussi ce qui est beau dans l’art : on peut y accomplir métaphoriquement tous ses rêves !
Je me suis retrouvé sur "Les Animaux Fantastiques" grâce à la même directrice de casting, qui a eu l’idée, pas évidente à priori, de me caster pour jouer un vieillard de 600 ans ! Ils avaient rencontré des acteurs bien plus âgés que moi, mais au final David Yates, le réalisateur du film, a beaucoup aimé mes essais. Il m’a fait venir à Londres pour me dire qu’il serait très heureux si j’acceptais le rôle ! (rires). Si moi j'acceptais le rôle ? Et comment que j’acceptais : faire partie de cet univers, c’était un cadeau merveilleux ! Peu importe si c'était un petit rôle, c'était quand même Nicolas Flamel et j’en ai tiré parti, on en a fait quelque chose que le public a semble-t-il beaucoup apprécié. En tout cas j’ai reçu plein de commentaires très gentils, sur mes réseaux sociaux.

Comme on dit : parfois on est tête de souris, parfois on est queue de lion. Là j’étais poil de queue de lion. Mais de quel Lion !
Quels projets à venir aujourd’hui ?
Acteur, c'est être tributaire du désir des autres. C'est pourquoi je ne conçois pas d’être que acteur. Voyez ma mère : elle a fait l’École du Louvre, elle a été actrice, elle a été infirmière… Mon père aussi ne s’est jamais limité qu’à une seule forme d'art : mime, cinéma, théâtre, littérature, bande-dessinée. Tous les deux sont de bons exemples de liberté et de créativité.
Depuis un peu plus d'un an, je me suis mis au dessin. Vous pouvez voir ça sur mon compte Instagram (@brontisjodorowsky). Je les dessine, les partage et je les mets dans une boite ! Je n’aurais peut-être jamais le niveau des artistes présents au PopCon ce weekend, mais ça me permet de m’épanouir : on m'a déjà proposé une expo à Londres en octobre.
J’ai un livre qui sort en Espagne, "Manual de codicia" ("Cupidité, mode d'emploi", s'il sort en France), dont le sujet est l’argent, le marketing, la vente… rien à voir avec l’art ! J’ai créé un compte sur Twitter sous le nom de Hammer Clume (@HammerClume), un supposé apôtre du capitalisme débridé, qui donne des conseils horribles. Tout est basé sur une réalité, mais c'est traité avec humour. Quand j’ai eu 400 et quelques tweets, je les ai développés dans un livre que j'ai le bonheur de publier chez Urano/Empresa Activa le 7 mai.
Au cinéma, j’ai un projet avec un réalisateur Vénézuélien, Alejandro Gamero : "La Perle". Le scénario est très beau, le rôle très riche. La production franco-colombo-autrichienne finit de réunir les fonds, on devrait tourner début 2020. Je suis impatient de commencer. Avant ça, vers octobre, il est question d'un premier film au Mexique, mais bon, avec le cinéma on ne sait jamais trop à l'avance. Là, je devais être en tournage, mais ça a été annulé trois jours avant. C'est pour ça que je dis que je ne crois jamais que je suis dans un film tant que je ne suis pas dans l’avion du retour !
Dernière question, est-ce qu’on vous voit dans le troisième opus des "Animaux Fantastiques" ?
Ça... Seule Dieu –aka J.K. Rowling- peut répondre à cette question, il faut la lui poser. Allez-y, elle est sur Twitter ! Plus sérieusement, la beauté de la magie réside aussi dans le mystère, n'est-ce pas ?
Un grand merci à Brontis Jodorowsky pour sa gentillesse et sa disponibilité et également tous nos remerciements au service presse de Popcon Toulouse.
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