L'officier Corcoran, revenant tout juste de son engagement dans la guerre de Sécession, est affecté à la sûreté et à la lutte contre la corruption dans le New York de la seconde moitié de 19ème siècle. A la tête d'une équipe composée de descendants irlandais comme lui, il traque sans relâche les malfrats en tous genres, et les richissimes politiciens qui veulent prendre le contrôle de Five Points, le quartier déshérité qui suscite pourtant bien des convoitises. Sur fond de violence, il vient à la rescousse d'Annie, une petite fille perdue qui lui rappelle la sienne, décédée dans des circonstances mystérieuses, mystérieuses tout comme l'est la disparition de sa propre femme.
D'emblée, la série pose le décor : le New York de la fin de la guerre de Sécession, où la misère côtoie les grandes ambitions. Dans cet enfer post-guerre civile, les représentants de la loi sont ont les méthodes des malfrats, mais agissent au nom de la justice, représentée par des politiciens véreux. Tom Fontana (réalisateur de l'excellent "Oz") prend le pas de Scorcese ("Gangs of New York"), qui mettait en scène le New York en pleine guerre de Sécession. Avec une énorme différence toutefois : le budget pour le faire!
Ici la grosse pomme est plus suggérée que fantasmée, et il faut beaucoup plus d'imagination pour s'en faire une idée, tellement la volonté du réalisateur n'a jamais été d'en mettre plein la vue. Ainsi, pas de grand plan d'une rue, les décors sont récurrents. Mais l'habileté de Fontana est d'avoir installé le spectateur dans une ambiance musicale forte, omniprésente et marquée culturellement (musique traditionnelle irlandaise), avec des costumes que l'on sait d'époque. On ne se dit jamais que l'histoire est trahie. Et c'est ce volet historique qui frappe dès le premier épisode : on fait référence à de grandes batailles, à des lieux connus, à des personnages emblématiques.
Et les personnages, on peut en parler : campés par des acteurs de talents, au premier rang desquels Tom Weston-Jones, inconnu du grand public, qui est très convaincant en policier redresseur de torts. Ce Kevin Corcoran, appelé Corky, a des manières de brutes, mais un sens de l'honneur poussé. Et quand il protège Annie, jeune fille qui se prostitue pour survivre, des griffes des prédateurs sexuels qui fréquentent les bordels, où la bonne société vient épancher ses bas instincts, c'est en relation avec la perte prématurée de son unique fille. Ficelle facile me direz-vous, c'est de l'introspection d'un homme blessé qui n'a pas su défendre son foyer qu'il s'agit. Et quand il succombe aux charmes des filles de mauvaise vie, comme à ceux de madame Haverford, jeune veuve d'un industriel corrompu, c'est pour mieux exorciser le manque de sa propre femme, dont la vérité sur la disparition constitue le fil rouge de la série.
Dans une Amérique secouée par la guerre fratricide, c'est l'écho de celle contemporaine qui résonne : Matthew Freeman, médecin dont Corcoran se sert pour ses enquêtes, est un afro-américain libre et instruit, qui ne songe qu'à protéger sa femme, meurtrie par l'agression de blancs, sans l'esprit de vengeance. Il est un affranchi qui aurait pu inspirer un siècle plus tard Martin Luther King, lui aussi attaché à être un américain parmi les américains, sans distinction de race. On se dit que ce pays des libertés individuelles n'a pas progressé beaucoup, et c'est l'ambition politique de la série : se pencher sur l'histoire complexe et tourmentée de ce jeune pays que sont les Etats-Unis, qui fascine tant les européens que nous sommes, tout en exerçant une répulsion sur ses mauvais penchants.
C'est la force du projet, son intrigue. A défaut d'une mise en scène léchée, d'une photographie mémorable, l'histoire de ce policier et de ses acolytes, dans un pays trop jeune pour être civilisé, et trop métissé pour ne pas être vecteur de promesses futures, nous emmène dans les racines de ce que nous aimons dans les USA, cette fascination du tout est possible, car tout est à inventer.
La quête de justice de Corcoran est notre quête, et l'on est aussi accroché que lui à l'espoir de retrouver ce qui le fait encore tenir après ces années de souffrance, la trace de sa femme.
Cette première saison m'a réellement tenu en haleine. N'achetez pas cette première saison sans investir dans la seconde. Vous ne tiendrez pas une minute pour savoir ce que deviendra l'équipée de ce fier Corky.
